Devenez Scénariste
accueil formations livres chroniques 300 réponses à propos
podcasts chroniques

Scénaristes : les grands gagnants


La pénurie de scénaristes est déjà réelle et risque fort de s'accroître avec la demande toujours grandissante en matière de fictions. Voilà pourquoi…

Nos diffuseurs sont sur le qui-vive... tandis que les auteurs font la fête !
Le fait est que l'arrivée de plateformes numériques comme Netflix, Amazon, Disney, Apple, sans oublier Canal qui s'y intéresse de très près, sont le cauchemar des diffuseurs télé. D'où la création de Salto. Ce faisant, il s'agit d'une aubaine incroyable pour les auteurs. D'autant plus que lesdites plateformes produisent toujours plus en France (à raison, et tant mieux pour nous !)

Face à cette menace, TF1, France Télévision, Canal +, M6, réclament d'avoir la même fiscalité (donc quasiment aucune) que leurs concurrents numériques. Mais aussi le droit de diffuser davantage de publicités, de pouvoir les cibler comme sur Internet, et d'être autorisés à vendre des espaces publicitaires pour, je cite : "le cinéma, l'édition, les offres promotionnelles de la grande distribution."

Autre antienne des antennes est l'abrogation de cette interdiction - obsolète, convenons-en - de diffuser des films certains soirs de la semaine, comme le samedi pour inciter les gens à sortir. De la lever ne serait pas aberrant.
L'idée finale de nos chaînes se présente sous le désir avoué d'investir davantage dans les séries… tout en conservant le cinéma comme pré carré.
La vérité est que le deuxième pays au monde en matière d'audiovisuel* (je n'inclus pas l'Inde dont les comptages sont invérifiables) tient à conserver son statut et à profiter de l'envol du domaine.
Concurrentielles, les plateformes étrangères s'installent donc en France malgré un cahier des charges de financement et de rétribution réellement à l'avantage des auteurs et de la production française (exception culturelle oblige).
De toutes ces batailles, quelle qu'en soit l'issue, les grands gagnants sont les scénaristes.
Car la matière première de toute fiction, reste le scénario.
Et n'allez pas imaginer, comme je l'entends ou le lis trop souvent, qu'ils seront mal payés, esclaves des productions ou je ne sais quelles inepties.
C'est mécaniquement faux, car plus la concurrence est rude, plus on rémunère cher ceux qui permettent de gagner le combat le plus crucial : celui de la suprématie.
En outre, la directive européenne sur le droit d'auteur, adoptée le 26 mars 2019, est une avancée majeure, pour le plus grand bien des auteurs, comme le spécifie la SACD. Cette directive tient compte de l'arrivée du numérique et réglemente les contrats entre auteurs et plateformes. La SACD elle-même a déjà signé des accords sur les droits d'auteurs avec Netflix, Amazon et You tube. Les autres suivent.

Indépendamment de cela, plusieurs acteurs influents du domaine se plaignent régulièrement du fait que le scénariste, sans qui le film n'existe pas (c'est vrai mais ce n'est pas le seul) ne touche que 4 à 5 % du budget d'un film.
Cela ne veut strictement rien dire. Pour un film il y a des postes matériels incompressibles qui coûtent extrêmement cher (costumes, décors, caméras, éclairage, son...). Un souci d'honnêteté voudrait que l'on comparât plutôt le pourcentage du scénariste à la masse salariale du film et non à son coût total.
Enfin, lorsque l'on sait que le budget moyen d'un film est de 4 millions, cela fait quoi qu'il en soit une somme conséquente pour le scénariste.
Notez que dans la vraie vie la principale rémunération se fait sur les bénéfices et non sur le budget. C'est-à-dire que le scénariste est rémunéré sur tout ce qui rapporte : places de cinéma, passages télé, ventes à l'étranger, VOD, Blu ray, etc. Ce qui signifie que plus le film marche, plus l'auteur avance.

Alors à vos plumes ! Et vive l'avenir !

* En 2019 la France a produit ou co-produit plus de 300 films long-métrages et 1200 heures de fiction TV. Pour chaque minute produite un scénariste a été payé.
Les formats plateformes et Internet n'entrent pas encore dans les calculs, alors qu'ils représentent un énorme marché et font vivre beaucoup de scénaristes.

La dramaturgie du football


Alors que la France va entrer en lice dans la Coupe d'Europe de football, un combat plus vif encore qu'entre les équipes, se joue entre les pros et les antis foot. Inconciliables.
Ici, vais-je tenter une autre approche, sociale mais surtout dramaturgique, tendant à expliquer l'engouement universel que suscite ce sport. Que vous aimiez ou détestiez, je vous propose une lecture factuelle de ce qui se joue, même sans ballon.
Rien au monde n'emprunte autant à la dramaturgie qu'un match de football… la clef est peut-être là…

Ce texte est (presque) celui de ma chronique en 2016, avant la Coupe du Monde, dans le très regretté podcast "Y a plus de papier" de mes amis Hadrien et Mathieu (qui aiment autant le foot qu'un spéciste la tauromachie).

Ceux qui détestent le foot, arguent du fait, indestructible de cohérence et de logique, qu'il n'y a strictement aucun intérêt à voir 22 gugus courir après un ballon.
Je défie d'ailleurs quiconque d'affirmer le contraire.
Sauf que, le football c'est autre chose. C'est une dramaturgie filmique.
Aucun spectacle, comme nous allons le voir, n'est aussi proche d'un long-métrage qu'un match de football.

Les pourfendeurs de ce sport glosent également sur le fait que le foot est un truc de débile, joué par des débiles pour des débiles.
C'est faux !
La plus grande fierté de Pasolini, par exemple, fut d'avoir été capitaine de l'Equipe de foot de la Faculté de Lettres de Bologne. C'est lui qui avait dit : "Dans le football, il y a des moments exclusivement poétiques". Il évoquait alors la fugacité éternelle de cet instant où un but est marqué.

Albert Camus quant à lui avait affirmé : "Tout ce que je sais de plus sûr à propos de la moralité et des obligations des hommes, c'est au football que je le dois."
Et la première interview qu'il accorda après l'obtention du prix Nobel de littérature, c'est sur un terrain de foot qu'il la donna.
Aron, Baudrillard, Barthes, Muray, Orwell écrivirent leur amour pour sur ce sport. Duras interviewa Platini. Gide, Montherlant, Camus, Péguy, Mac Orlan et d'autres le pratiquèrent avec passion.
En fait, beaucoup d'intellectuels aiment le foot. Ce sont les intellos qui ne l'aiment pas.
Face à ce constat, une question se pose à nous : y aurait-il de l'intelligence dans ce sport ?
Personnellement, j'en ai longtemps douté, mais la dramaturgie m'a éclairé à ce sujet.
Car je vous rappelle qu'aucun spectacle n'est aussi proche d'un film qu'un match de football.
- D'abord, la durée. 90 mn pour les deux.
- Structurellement vous avez des protagonistes (l'équipe que vous soutenez) et des antagonistes (les adversaires).
C'est important les personnages. Ce sont eux qui permettent l'identification.
Quand des enfants jouent à se faire peur, ils s'inventent des rôles de gentils et de méchants, comme vus au cinéma ou à la télé. Les cowboys et les indiens du cinéma des années 50 ont été remplacés par d'autres héros mais le principe est toujours le même.
Et dans le monde entier quand ils jouent au foot avec un vieux ballon et deux sweat-shirts pour figurer les poteaux de buts, les gamins se prennent pour leurs idoles : qui Ronaldo, qui Messi, qui Mbappe…
- Dans un match de football vous avez également des Nœuds Dramatiques. Un but marqué est un pivot de l'histoire.
- Et le joueur qui fait une passe décisive exploite sans le savoir le principe de l'événement déclencheur.
- Le football emprunte également à la dramaturgie le principe du suspense.
Et davantage que dans les autres sports pour deux raisons :
La première étant que le but est rare au foot, comme le montrent les scores. 1-0 ; 2-1, on est loin du 85 – 78 que nous aurons au basket.
La seconde tient de l'œuf et de la poule. Si les enjeux sont tellement puissants c'est parce que le football a un retentissement mondial comme aucun autre sport. Et s'il a ce retentissement, c'est justement à cause de l'enjeu. L'un nourrit l'autre.
- Au cinéma, le rôle du scénariste est de prouver la force de l'enjeu des personnages. Sinon le spectateur décroche.
Au football, l'enjeu est là d'emblée. Moins fort pour un match amical que pour une finale de coupe du monde, je vous l'accorde.
- Les dernières minutes d'un match offrent souvent un véritable climax dont l'acmé sera un dernier but marqué… ou la fin du match sifflée par l'arbitre.
- Arbitre qui est ce que l'on nomme en dramaturgie un "personnage de sympathie perverse". C'est-à-dire un personnage que l'on adore détester. Son problème est d'avoir au bout du sifflet le pouvoir de vous faire exulter ou pleurer.
- Dans le football vous avez également le mystère lorsque l'arbitre va parler à son juge de touche, ou plus récemment interroger le var avant de prendre une décision.
- Des implants : lorsque vous voyez un joueur s'échauffer vous savez qu'il va en remplacer un autre.
- De l'ironie dramatique, notamment lorsque les spectateurs connaissent les résultats des autres matchs dont dépend la qualification de l'équipe sur le terrain. Les spectateurs savent, mais pas les joueurs.
- Là où le football dépasse la dramaturgie, c'est dans l'emploi du Deus ex machina.
Ce coup du sort qui vient de nulle part et qui arrange le scénariste pour sauver le héros est à proscrire dans un scénario, mais jubilatoire, voire extatique dans un match.
Tout le monde se souvient de la finale France – Italie de l'Euro 2000.
L'Italie mène 1-0, nous sommes à la 94e minute. Les Italiens sont comme des fous sur le bord du terrain, dans les tribunes et partout dans le monde où se trouvent des Italiens. L'arbitre porte son sifflet à la bouche pour mettre fin au match quand surgit Sylvain Wiltord qui marque un but splendide pour la France.
L'émotion à cet instant, de liesse pour les Français, de désarroi pour les italiens, tient entièrement de la dramaturgie du match. Dramaturgie amplifiée par la force de l'enjeu et donc du suspense.
- La fameuse suspension consentie de l'incrédulité joua parfaitement son rôle dans le camp français, bien moins du côté de Rome qui se mit à détester les miracles.

Je ne vais pas tout développer, mais il y a des dizaines d'autres points communs entre le football et la dramaturgie filmique. Et c'est pourquoi, selon moi, ce sport suscite tant de passion.
Il ne reste plus qu'à espérer que les conflits externes entre afficionados et allergiques ne virent pas au triptyque narratif du western : situation – confrontation – duel.
Si j'écrivais ce scénario j'envisagerais plutôt une issue de style comédie sentimentale.

Vive la dramaturgie avec ou sans ballon, et vive l'Amour.
remonter